Que faire avec les formulations orales ne pouvant être coupées ou écrasées ?
Auteur: Peter Dvorak. B.Pharm, DESS., CTH.
Il existe plusieurs situations où la modification d’une formulation orale peut s’avérer utile, voire nécessaire. Pourtant, ces manipulations peuvent parfois avoir des effets désastreux sur la santé des patients. À l’heure actuelle, il n’existe, à notre connaissance, aucun guide au Canada permettant de savoir quel médicament oral peut ou ne peut être modifié. Les publications américaines et européennes, quant à elles, sont difficiles à adapter chez nous, car les noms et les formulations sont différents. Dans cet article, nous traiterons des différentes formulations orales ainsi que des raisons pour lesquelles nous pouvons ou ne pouvons pas les modifier.
À partir du moment où il est prescrit jusqu’au moment où il sera administré, le médicament oral passe par plusieurs manipulations volontaires qui peuvent modifier son intégrité physique. Que ce soit par le personnel de la pharmacie, celui qui l’administre au patient, l’aidant naturel ou le patient lui-même, le médicament peut être divisé, broyé, dissous, mélangé à un aliment ou encore croqué. Un problème peut survenir lorsque ces manipulations de la formulation orale influent sur sa pharmacocinétique au point de modifier son efficacité thérapeutique. On pourra alors observer une diminution de l’efficacité du produit, un sous-dosage, un surdosage ou des effets indésirables. Ces situations se produisent malheureusement de plus en plus souvent, car un nombre croissant de médicaments ne peuvent être modifiés1,2. Certains produits sont issus de procédés de haute technologie, avec des propriétés physicochimiques spécifiques. C’est pourquoi les diviser ou les broyer détruit le mode de libération prévu et peut avoir des conséquences graves. Malheureusement, on rapporte dans la documentation scientifique que dans plusieurs établissements de soins de longue durée, on écrase systématiquement des médicaments sans se référer aux sources pertinentes3-7. Des décès ou des effets indésirables graves ont été observés dans des hôpitaux où le personnel soignant avait écrasé des comprimés d’Adalat XLMD et d’OxycontinMD. Dernièrement, des centaines de décès sont survenus aux États-Unis chez des personnes qui abusaient illégalement d’oxycodone en écrasant des comprimés à longue action8 . Dans une étude pilote réalisée par une pharmacie britannique en 2005 avec des patients âgés, 58 % des personnes affirmaient ouvrir les capsules ou écraser les comprimés afin d’en faciliter la prise, et 65 % croyaient que le fait d’écraser le comprimé ou d’ouvrir la capsule n’affectait pas l’efficacité du médicament9,10. Il est évident que si l’on refusait d’emblée de couper ou d’écraser tous les comprimés, on priverait alors plusieurs patients des bénéfices de ces médicaments. Certains pourraient même être privés de traitement. La solution consiste en une connaissance accrue des caractéristiques des formulations orales solides ainsi que des raisons pour lesquelles on peut ou non les modifier. Les différents intervenants pourront alors prendre une décision éclairée sur le sujet ou choisir une solution de rechange valable. Ils pourront aussi renseigner efficacement leurs patients et les intervenants qui les aident.
Cet article se veut un survol pratique et théorique des différentes formulations pharmaceutiques orales, de leurs propriétés et des contraintes associées à chacune d’elles. Certaines informations se rapportent à des expériences pratiques et des informations obtenues de compagnies pharmaceutiques, compte tenu que la documentation scientifique offre peu d’information sur les possibilités de modifier les formulations pharmaceutiques orales.
De plus, il ne faut pas sous-estimer les centres d’information des compagnies pharmaceutiques. Ceux-ci détiennent des données impressionnantes sur leurs produits et on ne devrait pas hésiter à les consulter en cas de besoin.
Pourquoi modifier des formulations orales?
Modifier la dose.
Ces 20 dernières années, la quantité de médicaments disponibles sur le marché a augmenté de façon exponentielle et les thérapies sont devenues de plus en plus complexes. On essaie d’individualiser les traitements, de privilégier des associations de médicaments avec des doses faibles pour diminuer l’incidence des effets indésirables. Par exemple, dans le traitement de l’hypertension arté- rielle, on se retrouve face à des situations où certaines faibles doses ne sont pas sur le marché, par exemple du métoprolol 12,5 mg, de l’hydrochlorothiazide (HCTZ) 6,25 mg ou du bisoprolol 2,5 mg, doses pourtant recommandées en clinique. On traite une population de plus en plus vieillissante qui souffre d’insuffisance hépatique, rénale ou d’un faible poids. Par ailleurs, plusieurs médicaments non offerts en formulation liquide seront utilisés chez la population pédiatrique. Peut-on sectionner ces comprimés sans se poser de questions ?
Même si le comprimé est sécable, on doit toujours privilégier un comprimé entier. Le fait de couper un comprimé en deux peut entraîner une répartition inégale de la dose dans les deux moitiés du comprimé11. Les principes actifs peuvent aussi se dégrader au contact de l’air, de l’humidité ou de la lumière. Pour cette raison, dans la mesure du possible, on ne devrait pas couper les comprimés plusieurs jours à l’avance11,12. Si le comprimé doit être divisé, il faudra tenir compte de la taille, de la forme et de la fragilité du comprimé, car ces facteurs influent sur la précision du partage. Les comprimés allongés avec des rainures profondes sur les deux faces sont les plus faciles à couper11. Le risque est probablement minime lorsque l’on sectionne des médicaments ayant une longue demi-vie et un index thérapeutique large tels que ceux utilisés pour l’hypertension et les dyslipidémies13. Par contre, on devrait être extrêmement prudent lorsqu’on décide de diviser des comprimés contenant des principes actifs à index thérapeutique étroit (digoxine, lithium, théophylline, warfarine) ou alors il faudrait préférer une formulation liquide11. La prudence est aussi de mise lorsqu’on divise des comprimés qui sont des associations de produits, sauf si rainurés. En effet, il est difficile d’être assuré de l’homogénéité du mélange des principes actifs dans le comprimé13. Le partage des comprimés devrait être effectué à la pharmacie, à l’aide d’un coupe-comprimé, par une personne habilitée à faire ces manipulations et non par le patient lui-même11,12. Malheureusement, on voit encore trop souvent des patients qui repartent de la pharmacie avec des comprimés non sectionnés sans instructions et qui les divisent à la maison de manière rudimentaire et imprécise. En effet, une récente revue de documentation scientifique a trouvé des écarts de doses très importants lors du partage des comprimés, pouvant aller jusqu’à plus ou moins 50 % du poids acceptable13.
Difficultés de déglutition
La dysphagie est un problème très courant dans la population générale. Aux ÉtatsUnis, plus de 18 millions d’adultes en souffrent14. Ce nombre aura tendance à augmenter à cause du vieillissement de la population. Un récent sondage américain révélait que 40 % d’adultes ont rapporté avoir déjà eu de la difficulté à avaler leurs comprimés. De ces patients, 14 % ont retardé la prise de leur dose et 8 % ont omis de la prendre14. Chez les patients en centres de soins de longue durée, entre 30 % et 60 % des résidents souffrent de dysphagie à des degrés divers. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à causer la dysphagie. Jusqu’à 40 % de patients victimes d’un accident vasculaire cérébral et 50 % de patients atteints de la maladie d’Alzheimer souffriront de problèmes de déglutition9,15,16. Un cancer ou les traitements associés, des tumeurs de la région oropharyngée, la maladie de Parkinson, la xérostomie, des dommages aux nerfs dans la région oropharyngée sont d’autres causes contribuant à la dysphagie17. Certains médicaments tels les neuroleptiques, les antidépresseurs tricycliques, les antihistaminiques et les anticholinergiques peuvent aussi aggraver ce problème17.
Lorsqu’on doit dispenser des comprimés de dimension anormalement grande, on devrait vérifier d’emblée avec le patient son expérience avec de gros comprimés. Si ce dernier affirme qu’il aura de la difficulté à les avaler, on vérifiera, avant de les sectionner, si l’on peut lui donner la même dose avec des comprimés de force inférieure, en général plus petits. Comme exemple, on peut mentionner le Cipro XLMD 1000 mg, comprimé énorme pouvant être substitué par deux comprimés plus petits de Cipro XL 500 mg. C’est le cas de plusieurs antibiotiques tels que le KeflexMD 500 mg, CeftinMD 500 mg, CefzilMD 500 mg, BiaxinMD 500 mg, LevaquinMD 500 mg, mais aussi des anticonvulsivants tels que le Tegretol CRMD 400 mg (offert en 200 mg).
Dans le cas de dysphagie plus grave, lorsque le comprimé peut être écrasé, il faut s’assurer que l’opération se fasse avec des outils appropriés, soit un pilon et un mortier et que la dose entière soit donnée (attention à la poudre qui reste collée sur le pilon et les côtés du mortier)3 . Le comprimé écrasé doit être incorporé dans une petite quantité d’un aliment semi-solide ou liquide selon les propriétés physicochimiques du médicament et administré immédiatement. Lors de l’administration de plusieurs comprimés, chaque médicament doit être donné séparément afin d’éviter des incompatibilités. La majorité des comprimés faits de poudre comprimée et non enrobés sont conçus pour se désintégrer rapidement dans l’estomac et, par conséquent, ils peuvent être écrasés au préalable18,19. Certains médicaments peuvent aussi être dissous dans de l’eau, qui est ensuite bue par le patient. C’est le cas du Nexium. D’autres sont disponibles sous la forme croquable tel le Tegretol comprimés croquables. Il existe aussi une variété de médicaments sous forme de comprimés orodispersibles comme Zyprexa ZydisMD, Prevacid FasTabMD, Maxalt RPDMD et d’autres. Placés sur la langue, ces comprimés se désintègrent très rapidement et peuvent être avalés sans difficulté. Le principe actif reste dans des microgranules qui sont absorbés dans le tractus gastro-intestinal. Une récente étude semble montrer une efficacité et une préférence de cette formulation chez les patients souffrant de dysphagie14. Certains produits sont aussi offerts sous forme sublinguale et peuvent être utilisés de cette façon, tel que l’AtivanMD S/L. En ce qui a trait aux capsules en gélatine dure (gélules), dont nous traiterons en détail plus loin, il faut savoir que la plupart peuvent être ouvertes et le contenu mélangé de la même façon qu’un comprimé écrasé. Si la capsule contient des microgranules enrobées (Cardizem CDMD, SporanoxMD, PrevacidMD, etc.), ces dernières ne doivent pas être croquées. Dans certains cas, les formulations liquides peuvent remplacer les comprimés, mais les doses ne sont pas toujours équivalentes. Il faut, le cas échéant, l’équivalence des doses pour un produit donné, ajuster si nécessaire la posologie et faire le suivi clinique au besoin (p. ex., le DilantinMD en capsules versus la formulation en suspension orale).
Il ne faut pas négliger l’utilisation de formulations autres qu’orales pour ce type de patients. De nombreux médicaments existent sous forme de timbres cutanés tels l’hormonothérapie de substitution (EstradermMD, EstradotMD, EstalisMD,AndrodermMD), les dérivés nitrés (Nitro-DurMD, MinitranMD), les analgésiques opioïdes comme le fentanyl (DuragésicMD), l’oxybutinine (OxytrolMD) ou les contraceptifs oraux (EvraMD). D’autres sont offerts sous formes de gels cutanés comme les hormones (EstrogelMD, AndrogelMD) ou des anti-inflammatoires (PennsaidMD). Les suppositoires rectaux sont une option très pertinente, car faciles d’administration et ils couvrent plusieurs classes thérapeutiques, notamment l’analgésie (acétaminophène, kétoprofène, naproxène, indométhacine oxycodone, etc.). L’administration de formes orales par la voie rectale n’est pas recommandée puisque l’on dispose de peu de données pharmacocinétiques dans le cadre de cette utilisation. Les voies parenté- rales comme la voie sous-cutanée sont peu pratiques chez les patients ambulatoires et elles sont surtout utilisées dans le contexte des soins palliatifs.
En terminant, lorsqu’un comprimé ne peut être écrasé et que le médicament n’existe pas sous une autre formulation, on peut toujours le remplacer, après une intervention auprès du prescripteur, par un médicament de la même classe thérapeutique qui peut être modifié. Par exemple, dans la classe des bloqueurs des canaux calciques, un système osmotique de nifédipine tel l’Adalat XL pourrait être remplacé par un comprimé d’amlodipine (Norvasc MD), qui est sécable.
Réduction de coût
En 2003, le Veterans Affairs américain a économisé environ 46 millions de dollars en offrant systématiquement des demi-comprimés de simvastatine 40 mg au lieu d’un comprimé de 20 mg. Il semblerait que l’efficacité du traitement n’a pas été affectée par cette substitution20. On voit d’ailleurs cette tendance chez certains prescripteurs qui suggè- rent aux patients de sectionner en quatre les comprimés de ProscarMD (finastéride 5 mg) indiqués pour l’hypertrophie bénigne de la prostate, afin d’obtenir un équivalent du PropeciaMD (finastéride 1 mg) indiqué pour le traitement de l’alopécie, plus cher et non couvert par les assurances. D’autres prescrivent des demi-comprimés de LipitorMD (atorvastatine) 20 mg ou 40 mg par souci d’économies pour le patient. À moins de cas exceptionnels, on devrait décourager ces tendances, surtout en raison du manque de précisions sur le partage des comprimés. De plus, l’Association des pharmaciens américains et la Société médicale américaine s’opposent à la division systématique des comprimés13. La solution au coût du médicament passe plutôt par la substitution générique de médicaments bioéquivalents ou la prescription d’équivalents thérapeutiques moins coûteux.
Formulations orales potentiellement non modifiables
Comprimés enrobés
Comprimés avec enrobage gastrosoluble
Certains comprimés enrobés sont recouverts d’une pellicule ou couche parfois lisse et transparente, plus souvent luisante et bombée, de couleur vive et variée, appelés aussi comprimés pelliculés. Cet enrobage est gastrosoluble et sert à faciliter la déglutition, améliorer sa présentation et permettre l’identification du médicament. Il peut aussi en masquer le goût et protéger le principe actif de la lumière et de l’humidité18,21. La section de ces comprimés est difficile, car à cause de la forme bombée et de l’enrobage, les moitiés sont souvent imprécises. Par contre, à l’exception des principes actifs irritants pour les muqueuses, les comprimés peuvent être réduits en poudre, si le patient en accepte le goût18,21. Évidemment, le médicament doit être administré rapidement, surtout si le principe actif est sensible à l’humidité ou à la lumière. Il en va tout autrement avec les comprimés gastrorésistants ou entérosolubles, qui ne peuvent être modifiés.
Comprimés entérosolubles
L’enrobage gastrorésistant empêche la dissolution de ces comprimés dans le milieu acide de l’estomac. Plusieurs raisons justifient l’utilisation de cette forme pharmaceutique. On peut empêcher l’inactivation du principe actif, prévenir l’irritation de la muqueuse gastrique ou retarder le début d’action18,21,22. Il est aussi possible de cibler l’endroit dans le tractus gastro-intestinal où l’on veut que le médicament se dissolve et soit absorbé, grâce à un enrobage à dissolution qui dépend du pH. Il est facile de comprendre que la destruction de cet enrobage par sectionnement ou broyage aura comme conséquence une diminution ou une suppression de l’efficacité ou encore l’apparition d’effets indésirables. Une exception existe pourtant : certaines de ces formes pharmaceutiques peuvent être réduites en poudre puis administrées par une sonde duodénale ou jéjunale12,21. La prudence est tout de même de mise puisque le pH duodénal acide peut être néfaste pour certains principes actifs.
Principe actif inactivé par le suc gastrique
Plusieurs médicaments doivent être protégés de l’acidité gastrique par un enrobage qui empêche la dissolution du comprimé dans l’estomac. Les inhibiteurs de la pompe à protons (oméprazole, lansoprazole, pantoprazole, rabéprazole, ésoméprazole), utilisés dans le traitement des ulcères gastroduodénaux et du reflux gastro-œsophagien, sont tous inactivés par l’acidité6,12. On a rapporté un cas d’inefficacité de l’oméprazole après un mois de traitement, car le comprimé avait été écrasé et administré dans le tube d’alimentation entérale (tube gastrique)6 . Heureusement, on trouve dans cette classe des formulations pouvant être facilement modifiées pour les patients ayant des difficultés de déglutition. Le Prevacid est une capsule avec des granules gastrorésistants qui peut être ouverte et saupoudrée de façon extemporanée sur une compote de pommes23. Il est important de mentionner de ne pas croquer les granules. Le même médicament existe aussi sous forme de comprimé orodispersible (Prevacid Fastab). Le Nexium est un comprimé ANTRAMUPSMD, c’est-à-dire contenant des microbilles gastrorésistantes. Il peut être dispersé en deux à trois minutes dans 20 mL d’eau ou de jus d’orange, puis administré rapidement en faisant attention de ne pas mâcher les microbilles21,23.
Les suppléments d’enzymes pancréatiques (amylase, lipase, protéase) sont un autre type de principe actif pouvant être inactivé par le suc gastrique. Encore là, on trouvera plusieurs formulations sous forme de capsules avec granules gastrorésistants (Cotazym ECSMD, CreonMD, Pancrease MTMD, Ultrase MTMD, etc.)23 que l’on pourra ouvrir et saupoudrer tel que décrit précédemment. Il faut par contre éviter tout contact prolongé des granules avec la muqueuse buccale ou les mains, à cause du potentiel irritant des enzymes21,23.
Principe actif trop irritant
Il existe des principes actifs qui peuvent endommager la paroi gastrique, soit chez des patients ayant une sensibilité déjà existante (irritation, histoire de maladie ulcéreuse, facteurs de risque, patients âgés, etc.), soit parce qu’on administre des doses fortes ou des traitements prolongés. C’est le cas des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), de l’aspirine, du sulfate ferreux, du potassium, etc.24 (Naprosyn EMD, EntrophenMD, Slow-KMD). L’enrobage gastroré- sistant protège la muqueuse de l’estomac du contact direct avec la substance irritante et, par conséquent, il ne doit pas être altéré. Il existe des solutions de rechange sous forme de comprimés à croquer (MotrinMD, AdvilMD, AspirineMD 80 mg comprimés à croquer), de suspensions (NaprosynMD suspension orale 25 mg/mL, PalaferMD suspension) ou de comprimés non enrobés pouvant être coupés ou écrasés23. Pour ce qui est des AINS, leur effet pharmacologique sur les prostaglandines contribue grandement à l’effet néfaste sur la muqueuse gastrique, en plus de l’effet local du principe actif. Il faut donc prévoir une cytoprotection chez les patients à risque, peu importe si la formulation est entérosoluble ou non. Une autre solution valable consiste à utiliser des substances de la même classe thérapeutique ayant des propriétés irritantes moindres et pouvant être modifiées. On peut citer, dans la classe des AINS, les inhibiteurs de la COX2 tels le CelebrexMD et le MobicoxMD 23.
Principe actif devant être libéré à un endroit spécifique Acide 5-amino-salicylique (5-AAS)
Les préparations contenant du 5-AAS sont utilisées pour maîtriser les symptômes des maladies inflammatoires de l’intestin telles que la colite ulcéreuse et la maladie de Crohn. Afin de cibler l’action du médicament à des endroits spécifiques du tractus gastro-intestinal, certaines formulations ont un enrobage acrylique à dissolution qui dépend du pH. Ainsi l’AsacolMD, le SalofalkMD et le MesasalMD libèrent leur principe actif dans l’iléon terminal et le côlon où le pH est supérieur à 723. Par conséquent, une altération de cet enrobage modifierait de façon importante l’effet prévu du médicament et l’efficacité du traitement23.
Formulations orales à libération prolongée
Ces formulations consistent en une dose élevée de principe actif qui sera libérée de façon graduelle et soutenue sur une longue période de temps. On peut ainsi s’assurer d’un niveau thérapeutique sanguin stable durant une période prolongée, diminuant ainsi le nombre de prises quotidiennes et favorisant l’adhésion au traitement. Par ailleurs, on réduit aussi les effets indésirables en atténuant le pic sanguin comparativement à une même dose qui serait administrée sous une forme galénique non modifiée25-27. Ainsi, la nifédipine à action prolongée (Adalat XL) permet d’éviter une hypotension subite et une tachycardie réflexe à la suite de l’administration26. On voit aussi une diminution de la somnolence avec la carbamazépine CR et une réduction des nausées avec les formulations prolongées de théophylline26. Ces avantages ont contribué à une forte croissance de ces produits sur le marché. En 2001, ces formulations représentaient déjà 15 % du marché total des médicaments27. On reconnaît assez facilement ces médicaments aux abréviations qui suivent le nom telles que XL, CD, CR, LA, SR, SA, PA, XR, contin (action continue) et 12H ou 24H. Ces abréviations sont expliquées au tableau I 23,28. Plusieurs termes interchangeables sont aussi utilisés pour décrire ces formulations. On peut parler de libération soutenue, étendue, contrôlée, progressive, lente (slow-release, long-action), etc. Par contre, il faut rester très vigilant, car certains noms ne contenant pas d’abréviations sont quand même des formulations à libération prolongée (tableau II)23. Voyons maintenant les différentes formulations présentes sur le marché.
Les pompes osmotiques
Ce sont en fait des petits réservoirs où le principe actif est contenu dans un noyau non digestible et recouvert d’une membrane semi-perméable. Le comprimé a une petite ouverture percée au laser. Dans le tractus gastro-intestinal, l’eau traverse la membrane par osmose, disperse le médicament et l’expulse par l’ouverture à un débit constant. Il existe plusieurs variantes de ce système dont les pompes osmotiques de types push-pullMD, L-OROSMD et OROS Tri LayerMD. Dans le système push-pull, le comprimé est composé de deux compartiments dont un seul contient le principe actif. L’eau pénètre dans le compartiment inactif par osmose (moteur osmotique). Un polymère gonfle et exerce une pression sur le compartiment contenant le médicament. Ce dernier sera donc expulsé par l’ouverture dans le comprimé et ceci à une vitesse constante (figure 1). Le système L-OROS est une capsule de gélatine molle et l’OROS Tri Layer est constitué de trois compartiments, dont deux contiennent le principe actif. Une altération de la membrane d’un de ses systèmes, par section ou broyage, causerait une libération immédiate du médicament et un risque de surdosage23. Les pompes osmotiques sont utilisées dans plusieurs formulations médicamenteuses dont l’Adalat XL, le Ditropan XLMD, le Concerta, etc. On peut voir des photos de plusieurs formulations à la figure 2.
Les systèmes matriciels
Il s’agit le plus souvent de matériaux poreux insolubles dans lesquels on disperse le principe actif. Le matériau est constitué de produits physiologiquement tolérés comme des cires (cire de carnauba) ou de substances polymères25,26. Le principe actif est emprisonné dans ce réseau poreux. Il diffuse graduellement au fur et à mesure que l’eau du système gastro-intestinal s’infiltre dans la matrice selon des caractéristiques physicochimiques prédéterminées. La section du comprimé est théoriquement possible, car on n’augmente pas de façon significative la surface de contact avec le milieu environnant. Par contre, broyer ces comprimés est contre-indiqué, car on augmente substantiellement la surface de contact ainsi que la vitesse de dissolution et d’absorption du produit actif. On peut citer plusieurs exemples de ces produits comme le MestinonMD SR, DuralithMD, ImdurMD, PhyllocontinMD, etc.23,25,26.
Certaines matrices sont aussi partiellement solubles. Dans ces cas, la libération du produit est contrôlée par la vitesse d’érosion de la matrice. Un exemple de cette formulation est le Sinemet CRMD 26.
Autres formulations
D’autres formulations à libération modifiée existent sur le marché. Les comprimés multicouches (XatralMD, Claritin ExtraMD, Allerga DMD) peuvent servir à séparer des principes actifs incompatibles ou bien à utiliser des vitesses de dissolution différentes d’une couche à l’autre (figure 3). Cette dernière formulation permet d’avoir une dose d’attaque et une dose de maintien pour le même principe actif ou une dose à effet immédiat du premier médicament, puis un effet prolongé du second principe actif21,23.
On utilise aussi d’autres techniques telles des vitesses de dissolution différentes entre les molécules complexées ou libres, entre les formes cristallines polymorphes ou encore des résines échangeuses d’ions26.
Certaines de ces formulations peuvent être sectionnées, d’autres non. On utilise le cas par cas pour déterminer ce que l’on peut faire ou non avec ces formulations.
Formulations sublinguales et orodispersibles
Bien que ces deux types de formulations soient parfois confondus, il existe des différences fondamentales entre eux. Les comprimés sublinguaux sont conçus pour être absorbés par la muqueuse buccale. Ils doivent être maintenus sous la langue où ils seront absorbés grâce à l’important afflux sanguin dans cette région24,28. Pour certaines formulations, le fait d’être écrasées et avalées peut diminuer leur efficacité qui est basée sur l’absorption sublinguale24,29. Ils ont aussi un début d’action plus rapide que les formulations traditionnelles, car le principe actif entre directement dans le flux sanguin. Ce type de comprimé peut être une option intéressante chez un patient souffrant de problème de déglutition en autant qu’il soit capable de maintenir le comprimé suffisamment longtemps sous la langue et qu’il ne souffre pas de xérostomie grave. Par contre, il n’existe pas une grande sélection de ces produits. On peut en citer quelques exemples, soit l’Ativan S/L, le NitrostatMD, etc.
Les comprimés orodispersibles sont conçus pour faciliter la prise lors de difficultés de déglutition. Ils doivent être posés sur la langue et sont dissous rapidement par la salive afin d’être avalés plus facilement14,21. Il est à noter que leur action n’est pas plus rapide que celle des formes traditionnelles correspondantes21. En effet, ils sont composés de microgranules qui reproduisent autant que faire se peut la libération d’un comprimé classique. On dispose de plus en plus de médicaments dans cette formulation, car elle répond à un besoin, surtout chez la population gériatrique.
Les formulations sublinguales et orodispersibles sont en général très friables. Par conséquent, il est déconseillé de couper ces types de comprimés23.
Gélules et capsules avec microgranules enrobées
Les gélules ou capsules en gélatine molle sont composées d’une seule pièce hermétique de gélatine et contiennent le médicament sous forme liquide souvent lipophile (figure 4). Dans l’estomac, l’enveloppe se dissout rapidement, en général en trois à huit minutes, et libère le principe actif. Bien que l’on ait déjà préconisé de dissoudre les gélules dans un peu d’eau tiède, le contenu huileux rend souvent cette préparation difficile à accepter par le patient21. Le fait de percer la capsule et d’en récupérer le contenu est généralement déconseillé. L’opération est trop imprécise, car on ne peut pas récupérer la dose exacte. Enfin, les gélules servent aussi à protéger la muqueuse buccale et pharyngée de l’effet irritatif de certaines substances comme l’isotrétinoïne (AccutaneMD, ClarusMD) et le valproate (DepakeneMD)23. Beaucoup de produits se retrouvent sous forme de capsules de gélatine dure qui contiennent des microgranules, soit avec un enrobage gastrorésistant (complexes d’enzymes), soit des enrobages de différentes épaisseurs, donc avec des vitesses de dissolution différentes (Cardizem CDMD, Adderall XRMD, TiazacMD, etc.) ou encore un mélange de principes actifs à libération immédiate et à libération prolongée (AggrenoxMD) (figure 5). La plupart de ces capsules peuvent être ouvertes et leur contenu mélangé avec un peu de nourriture semisolide (compote, pouding, etc.) et avalées sans croquer les microbilles23.
Formulations dangereuses pour le personnel qui les manipule
Deux types de formulations entrent dans cette catégorie. Premièrement, les médicaments à base de nitroglycérine (nitroglycérine, mononitrate et dinitrate d’isosorbide) ont un risque théorique d’explosion s’ils sont écrasés ou pulvérisés31. Même si aucun cas n’a été rapporté, il est contre-indiqué d’écraser ce type de comprimés. Deuxièmement, tous les médicaments cytostatiques ou antinéoplasiques peuvent être dangereux pour le personnel qui les écrase. En effet, la pulvérisation de ces comprimés projette de la poudre dans l’air qui est ensuite inhalée par le personnel28,31,32. L’Association américaine des pharmaciens hospitaliers propose une méthode simple qui permet d’écraser les antinéoplasiques de façon sécuritaire7 . Le comprimé est placé dans un petit sachet de plastique scellé (type Zip-Lock), puis écrasé avec le pilon avec précaution afin de ne pas percer la paroi du sac7 . Le contenu écrasé peut par la suite être incorporé dans de la nourriture semi-solide en suivant les précautions d’usage comme le port de gants. Cette méthode peut être utilisée pour écraser tout type de comprimé, car elle permet d’éviter une perte de médicament qui reste collé sur le pilon ou dans le fond du mortier.
Conclusion
Depuis plusieurs années, on observe sur le marché canadien une augmentation importante du nombre de médicaments à libération modifiée. Ce phénomène fait en sorte que de plus en plus de médicaments oraux ne peuvent être modifiés pour en faciliter l’administration. La modification de ces formulations peut engendrer de graves conséquences sur la santé des patients. Le pharmacien est souvent consulté à ce sujet et doit disposer d’outils et de connaissances à jour, afin de répondre efficacement à ces questions. C’est aussi pour lui une occasion d’affirmer son expertise en tant que spécialiste du médicament. Une liste de formulations orales ne pouvant être modifiées, mise à jour régulièrement, ainsi qu’une connaissance accrue des formulations orales disponibles sont des outils essentiels lors de ces situations.